Fragile, un rien ne peut la briser. Voilà ce que chacun pense en voyant Eleanor, sa taille fluette empêtré dans une robe crasseuse. Son visage et ses bras sont marqués de blessures causées lors de ses disputes avec les autres prostituées, ou par des clients aux mœurs particulières. Elle a le regard farouche d'une bête blessée, celui d'une femme qui n'a plus confiance. Les genoux cagneux, les coudes meurtris, Anne se cache derrière sa longue chevelure brune. La seule chose qui semble entretenue sur elle : il faut bien attirer les clients. Pour cela d'ailleurs, elle porte des bijoux de pacotille et une robe élimée emplie de dentelles afin de se donner des airs de grande dame. Mais personne n'est dupe.

Eleanor n'a plus toute sa tête. Elle peut se mettre à chanter sans raison aussi bien des couplets enfantins que des chansons paillardes entendues à la taverne. Personne ne peut prévoir ses actions et réactions, Eleanor est une énigme. Touchée par une folie douce, elle peut se mettre à danser, demander à jouer à un jeu pour enfants, puis devenir soudainement grave et sérieuse. Par contre Eleanor peut soudainement devenir une vraie furie si on la force à quelque chose, ou qu'on lui démontre qu'elle est folle. Elle se met alors à mordre, griffer, devient une bête qui n'a plus rien d'humain.

Personne ne connaît son passé, pas même elle. On la trouva, gisante sur les quais du port, il y a de cela sept ans. Elle fut trouvée par des marins qui la menèrent en ville afin que l'on puisse retrouver sa famille. Mais les seuls mots qu'arrivait à prononcer Eleanor étaient en français, langue peu utilisée et connue à Port-Réal. Ne retrouvant ni père ni mère, la jeune fille fut menée à une maison close. La propriétaire lui apprit à s'exprimer dans la langue commune de la ville, l'anglais, et à comprendre sa nouvelle vie. Son prénom fut la version anglicisée de celui qu'elle ne cessait de prononcer : Alienor.
Depuis Eleanor a tâché de mener une vie à peu près normale malgré le milieu sordide où elle se trouve. Elle a peu de liens amicaux avec les autres filles de la maison, étant considérée comme la préférée de la patronne. Elle rêve souvent qu'elle est la descendante d'une famille noble, et qu'un jour ses parents viendront la chercher.